Bien qu’ayant traversés la frontière indienne depuis une petite semaine, c’est véritablement à la gare de Siliguri que nous rencontrons l’Inde pour la première fois. La température est montée significativement par rapport aux montagnes de Darjeeling. De nombreuses personnes sont assises ou allongées à même le sol dans le hall. Difficile de savoir si elles “vivent” ici ou si elles attendent leurs trains. Des mendiants (hommes, femmes, enfants) nous sollicitent, tout comme des vendeurs ambulants qui proposent de cirer nos chaussures ou de réparer nos fermetures éclairs.
Comme nous avons trois heures d’attente avant de monter à bord de notre train de nuit, nous optons pour un petit restaurant (on choisit celui où il semble y avoir le plus de monde). Nous ne prenons pas trop de risques en commandant des aloo jeera accompagné de nans, c’est à dire des pomme de terre cuisinées au cumin, avec des petites galettes, le plus souvent cuites dans un four spécial appelé “tandoor”. On goûte aussi un curry pomme de terre tomate, pas mal du tout.
L’heure approchant, nous nous dirigeons vers notre quai, dont le numéro change toutes les dix minutes. Entre temps, deux gamins des rues d’une dizaine d’années à peine se menacent armés chacun d’une lame de rasoir, peut-être pour une simple bouteille en plastique ramassée sur le “territoire” de l’autre. La victime tente en vain de faire arbitrer le conflit par les adultes présents qui demeurent indifférents. J’ai le cœur serré (c’est pas en plus comme si je travaillais dans la protection de l’enfance!), mais qu’est ce que je pourrais bien faire…
Notre train arrive finalement avec 1h30 de retard. Du coup, c’est un peu la panique, tout le monde court dans tous les sens. Un vendeur de plateau-repas nous conduit aimablement à notre wagon, en insistant tout de même un peu trop pour qu’on achète notre repas, mais comme on sort tout juste du restaurant, c’est non!
Etant donné que c’est une première, l’organisation des trains indiens demeurent une énigme à nos yeux, tout comme les différentes catégories de “confort”. Nous comprendrons plus tard que nous avons voyagé dans la classe la plus populaire.
Il existe une classe encore moins cher, mais il n’y a de réservation, autant dire que c’est l’émeute (et le mot n’est pas exagéré, certains en viennent aux mains) au moment de s’installer.
C’est donc non sans émotion que nous prenons place dans notre wagon. La première impression est plutôt du genre oppressante: pas de lumière, de minuscules fenêtres avec barreaux, des colis entravent le passage, le wagon est surchargé, des visages qu’on distingue à peine dans l’obscurité nous observent sans relâche, ça sent le renfermé… On se demande un instant ce qu’on fait là.
Puis, les lumières s’allument, les ventilos ventilent, la curiosité de nos voisins s’estompe, et enfin on commence à se détendre.
Viennent ensuite les interrogations pratiques: il y a 6 personnes sur un siège qui compte trois places ?!? Sans chercher plus à comprendre, sur les conseils aguerris d’autres voyageurs, nous demandons aux gens de se déplacer pour pouvoir installer nos couchettes vers 22h (le dossier du siège constituant le lit du milieu) et nous nous laissons bercer par le train.
Au milieu de la nuit, je me réveille face à un policier qui tient un pistolet d’1m50 de long, dont les seuls mots seront:”Keep your bag closer” (garde ton sac plus près de toi). En fait, je ne vois pas comment je pourrais faire mieux avec mon sac, mais je réponds “yes” afin de ne contrarier personne, et je tente de me rendormir. Les vols de sac sont apparemment très fréquents sur cette ligne de train, nous partageons donc notre couchette avec nos bagages, ce qui pour Pierre est un véritable défi Tetris, étant donné la taille standard de la couchette.
Nous arrivons de bonne heure à la gare de Mugal Saraï qui se situe à une dizaine de kilomètres de la gare de Varanasi. Nous empruntons un rickshaw (petit taxi à 3 roues) pour nous y rendre. C’est la foire d’empoigne entre les chauffeurs pour savoir qui va assurer la course. Nous optons pour un rickshaw (très) collectif, c’est à dire huit personnes pour quatre vraies places, plus deux à côté du chauffeur. Le terme promiscuité prend alors toute sa dimension. Heureusement, nos bagages font le trajet sur le toit.
Notre routard nous indique la présence d’un guichet touristique où l’on peut aisément acheter nos billets. Sachant combien il est compliqué d’obtenir des billets de train (longue file, anglais parfois limité, et surtout, des indiens par dizaines qui “doublent”…) nous saisissons cette occasion pour boucler nos trajets jusqu’à Delhi.
Nos billets de train en poche, notre prochaine mission consiste à reprendre un rickshaw, afin de nous rendre dans le quartier de notre hôtel, les difficultés étant multiples: ne pas payer quatre fois le montant réel de la course, ne pas se faire emmener dans l’hôtel proposé par le chauffeur où il touchera sa commission, etc.
En restant ferme, nous réussissons à nous faire déposer là où nous le souhaitons. Nous continuons à pied car le centre ville est constitué de toutes petites ruelles entremêlées, où les vaches, animal sacré par excellence, sont omniprésentes.
Alors, on aime ou on aime pas, la chaleur, l’animation, la promiscuité, les vendeurs ambulants, les rabatteurs, l’ambiance colorée, les odeurs d’encens, d’épices et de vaches… . Nous en tout cas, on est conquis, nous n’imaginions pas l’Inde autrement.
Varanasi est le plus grand lieu saint de l’hindouisme, comme Lourdes pour les catholiques, ou La Mecque pour les musulmans. C’est pour les croyants le point de rencontre du monde physique et du monde spirituel. Dans les faits, il y a peu de choses à visiter en tant que telles (temples, mausolées, forteresses ou palais…) mais l’ambiance y est incomparable et l’animation est à chaque coin de rue.
Varanasi est traversée par le plus sacré des fleuves en Inde: le Gange. Chaque année entre trois et quatre millions de pèlerins viennent y effectuer leurs ablutions rituelles, l’eau du fleuve étant sensée laver de tous les péchés accumulés au cours des vies passées (le pluriel est de mise!).
La ferveur religieuse est donc très marquée. Dès le lever du soleil de nombreux hindous se baignent dans le Gange, le rituel veut qu’on s’immerge trois fois avant tout autre chose. Certains ensuite se savonnent, tandis que les enfants jouent dans l’eau. Les ghâts (quais qui longent le fleuve) sont alors très fréquentés, et se colorent, notamment grâce aux élégants saris dont sont vêtues les femmes.
Je suis assez impressionnée par la tolérance des hindous qui semblent ignorer le flot de touristes qui débarquent en bateau à moins d’un mètre d’eux et qui les mitraillent sans relâche avec leur appareils photos, caméras, tablettes tactiles et autres gadgets électroniques.
D’ailleurs dans la plupart des autres villes, les photos des bains rituels sont interdites. C’est pas plus mal, question de respect.
Nous nous interrogeons sur l’état sanitaire du Gange, étant donné les déchets qui flottent à quelques mètres. D’autant plus qu’après les crémations (parfois incomplètes) les cendres sont “offertes” au Gange, les buffles s’y baignent, et les égouts semblent s’y déverser… Quand on pense que certains en boivent et que les tous jeunes enfants y sont baignés …
Il est à peine 6h du matin, mais il y a affluence autour du temple et les offrandes se multiplient.
Varanasi, en tant que lieu sacré pour les hindous, est aussi la ville où l’on vient pour mourir. La croyance veut que tout hindou qui décède à Varanasi a l’assurance de voir son âme monter au ciel, et évite ainsi le cycle sans fin des renaissances.
Ce désir de mourir auprès du Gange a poussé de nombreux maharajas à construire des palais tout proches du fleuve. Ils sont aujourd’hui laissés à l’abandon.
Les nombreuses crémations ont lieu à ciel ouvert, comme à Pashupatinath au Népal, c’est un acte très ritualisé. Plus la personne que l’on incinère est pauvre, plus son corps se trouve proche de l’eau. Le corps est enveloppé dans un drap orange. C’est le fils aîné qui allume le bûcher après que le corps ait été plongé dans le Gange. Pour l’occasion il a les cheveux rasés à l’exception d’une petite mèche à l’arrière de la tête.
Heureusement, les femmes dont le mari vient de mourir ne se jettent plus vivantes dans le bûcher comme cela se produisait il y a encore quelques dizaines d’années. Cette terrible coutume laisse entrevoir la condition de la femme en Inde, même si les choses tendent à évoluer, surtout dans les villes.
Avec un nombre de crémations très important, la question du bois demeure plus que cruciale, et l’Inde commence à en manquer, ce qui a pour effet, outre une tendance à la déforestation, de faire grimper les prix. Pour tenter de remédier à ce problème, le gouvernement a fait installer un crématorium électrique, probablement utilisé par les personnes les plus pauvres qui ne peuvent assumer le coût financier du bois.
En nous promenant le long des ghâts, l’animation est continue. De nombreuses vaches, bien qu’ayant un propriétaire, se balade librement. Et elles ne sont pas farouches.
Si l’animal est sacré dans toute l’Inde, il l’est encore plus ici. Varanasi disposerait en effet de la plus belle maison de retraite pour vaches de l’Inde!
Lors de la période de “la vache folle”, un des partis politiques indiens aurait proposé de recueillir nos vaches pour leur éviter l’abattoir.
La vache est un animal sacré pour les hindous, car durant les temps difficile de famine, l’animal a toujours eu du lait pour nourrir les enfants. Leurs bouses sont également utilisées comme composts ou pour alimenter les feux. Les habitants les récoltent et les font sécher au soleil sous forme de galettes.
Inutile de préciser donc que les hindous ne consomment pas de bœuf. Les bovins, considérés comme purs, sont enterrés à leur mort.
Nous nous rendons compte qu’après les rituels du matin, les bords du Gange, se transforment aussi en une véritable laverie à ciel ouvert.
Et aussi déroutant que ça l’est pour moi, tout est alors susceptible de se transformer en étendoir à linge, même le sol.
On pourra remarquer ici l’ingéniosité pour suspendre la lessive: pas de pince, mais une double corde dans laquelle on coince un petit coin des habits!
Nous ne nous lassons pas de déambuler sur les quais du Gange et d’observer tout ce fourmillement.
On rencontre plusieurs yogis (maîtres spirituels) qui dispensent leurs enseignements à leur disciples en plein air ou des sâdhus (des hommes qui ont tout dédié à la religion, ils ne possèdent rien et vivent dans la rue grâce à des dons. Ils s’enduisent parfois le corps de cendres.
La misère est bien présente dans ce haut lieu spirituel, certaines personnes semblant vivre sur les quais.
La pauvreté et la misère sont particulièrement difficile à appréhender en Inde, et mon esprit occidental doit sans doute créer des filtres pour supporter l’insupportable. En effet, au fur et à mesure de notre voyage, nous rencontrons malheureusement des halls de gares, des trottoirs, des ronds points, peuplés d’hommes, de femmes et d’enfants qui n’ont sans doute nul autre endroit où dormir. Nous croisons des gamins des rues, pieds nus, qui collectent les déchets et d’autres qui mendient quelques roupies. Il semblerait qu’il existe de véritables gangs d’enfants des rues menés par les plus âgés. Certains enfants seraient mutilés et amputés volontairement pour récolter plus d’argent, d’autres alimenteraient les réseaux de prostitution. En effet, très peu d’enfants des rues sont des filles.
Cela nous interpelle d’autant plus quand on compare cette situation à l’attention portés aux vaches par exemple, et même aux singes, considérés comme animaux sacrés.
Inde, pays des paradoxes pour nos esprits occidentaux!
Dans nos tours et détours dans les ruelles de Varanasi, outre les vaches, se baladent aussi des chèvres et des singes qui semblent autant à l’aise dans la jungle urbaine qu’en pleine nature.
Nous sommes évidemment sollicités de toute part par les rabatteurs et les vendeurs ambulants. Je me fais gentiment avoir par un homme dont j’ignore le statut religieux mais qui m’appose un point de couleur sur le front et me “bénit” sans que j’ai eu le temps de dire quoique ce soit. Evidemment une petite contribution est demandée en retour.
La mendicité et les dons est d’ailleurs une question à laquelle nous sommes confrontés en permanence. De notre côté, nous ne donnons pas aux enfants (pour moi, s’ils gagnent de l’argent, leurs chances d’aller à l’école diminue d’autant plus), ni aux personnes qui, et cela est bien subjectif, semblent en capacité de travailler.
Nous donnons quelques pièces aux personnes mutilés et très âgés. Pierre, sensible à la musique, donne aussi aux musiciens. En revanche, phénomène qui nous apparaît assez incompréhensible, parfois la somme que nous donnons est estimée insuffisante, et la personne la refuse…
Dès que le soleil se couche, la ferveur religieuse reprend sur les bords du Gange. Une importante cérémonie a lieu tous les soirs et rassemble beaucoup d’hindous et de curieux comme nous.
Pour notre dernière journée, nous nous rendons au Golden temple, que nous renonçons à visiter étant donné le nombre de personnes qui attendent à l’entrée.
Nous poursuivons dans le dédale de ruelles pour nous rendre au Nepaleese Temple.
L’endroit nous rappelle quelques souvenirs.
Le temple offre aussi une jolie vue sur les quais du Gange
Chemin faisant, nous nous apercevons que la présence policière est importante aux abords des lieux religieux et dans les zones de passages stratégiques. Nous apprendrons que malgré son apparente tranquillité, Varanasi vit dans un climat de tension religieuse assez important. Par exemple, la mosquée n’est ouverte que le vendredi pour la prière des fidèles.
Nous croisons pas mal d’échoppes plus authentiques les unes que les autres, dont ce vendeur de yaourts.
Après quatre jours passés à Varanasi, il est temps pour nous de reprendre la route, ou plutôt les rails, direction la capitale indienne.